Des lignes et des corps
Pour la première fois en Europe, l’exposition, organisée en étroite collaboration avec le Ishimoto Yasuhiro Photo Center au Museum of Art, Kochi au Japon, rassemblera 169 tirages d’époque. Le parcours de l’exposition se concentrera sur les premières décennies de l’œuvre d’Ishimoto, entre Chicago et le Japon. Figure clé des années 1950 et 1960, Ishimoto sera considéré comme «visuellement bilingue» par sa capacité à allier l’approche formelle du Nouveau Bauhaus à la quintessence de l’esthétique japonaise, sans jamais renoncer à un regard critique sur les questions sociales de son époque.
«... Yasuhiro Ishimoto est visuellement bilingue: japonais par sa culture, oriental dans sa manière de voir et occidental par sa formation au Chicago Institute of Design (centre de la tradition Bauhaus), il parle anglais avec un accent allemand». — Minor White
« La structure sans la vie est une chose morte et la vie sans structure une chose invisible. » — John Cage
«L’œil d’Ishimoto, le plus sérieux qui soit, dépourvu de sentimentalité, amène à la surface de l’image des choses profondes et difficiles à saisir, alignées les unes avec les autres dans l’espace du cadre. D’une extrême précision dans l’art de couper dans le flux sans cesse mouvant de la rue, des passants, des jeux d’enfants, il se joue avec brio du vide et du plein en tension dans l’image, dans la logique spatiale du ma. L’œuvre d’Ishimoto est empreinte de tout cela: la grâce d’une géométrie sans pesanteur, l’apparence des faits sans posture de témoin, l’évidence d’un art sans affectation. En prise directe avec l’essence des choses, c’est pourtant de la retenue avec laquelle Ishimoto instaure une distance avec son sujet qu’émane de ses images une sensation profonde d’isolement, d’abandon. À regarder ses scènes de Chicago ou Tokyo, d’une beauté si ordonnée, si vibrante, on comprend qu’il devint, pour emprunter les mots de Stefan Zweig, un «intermédiaire tout à fait extraordinaire entre Orientaux et Occidentaux, un homme à double dimension, capable d’une part de contempler de l’extérieur avec étonnement et respect, le côté étranger de cette beauté, et de l’autre de la représenter et de nous la faire comprendre comme allant de soi, comme une beauté vécue de l’intérieur et devenue sienne. »
Diane Dufour, commissaire de l’exposition
Extrait du texte d’introduction du livre Ishimoto. Des lignes et des corps co-édité par LE BAL et Atelier EXB.
À l’Institute of Design de 1948 à 1952, confrontée aux préceptes pédagogiques novateurs du Bauhaus, la sensibilité visuelle encore brute d’Ishimoto s’aiguise : «L’enseignement au New Bauhaus était très inorthodoxe. Avant même que nous puissions nous emparer d’un appareil photo, on nous enseignait le dessin de A à Z, en commençant par des croquis très simples. Jour après jour, nous étions formés à maîtriser les points, les lignes, la texture d’une surface et la lumière, à tel point que je me demandais quand j’allais enfin apprendre à photographier. Cet apprentissage des fondamentaux a duré deux ans.» Priment avant tout dans cet apprentissage, tels que les a importés du Bauhaus allemand Moholy-Nagy à Chicago, l’esprit d’expérimentation, la beauté révélée de l’objet quotidien, la quête d’une poétique de la modernité.
Devenu en 1949 responsable du département Photographie de l’ID, Harry Callahan va déplacer les exercices donnés aux étudiants du studio à la rue. Chaque consigne est alors pour Ishimoto prétexte à un agencement de signes urbains dans l’image, comme autant d’indicateurs non pas de la substance des faits, mais d’une grâce toute immatérielle qui plane au-dessus d’eux. Par accentuation de l’opposition entre le noir et le blanc, par l’importance accordée aux masses et aux formes angulaires, les données documentaires se déforment au profit de l’expressivité. Avant tout, Ishimoto nous livre une expérience, ramassée en une image, de son immersion dans le monde.
En 1953, Ishimoto revient au Japon après quatorze années d’absence et photographie pour la première fois la villa impériale Katsura à Kyoto.
«Le jeu quasi monochrome formé par les rectangles blancs des shoji [panneaux] avec le quadrillage des lignes sombres des piliers. Je retrouvais là les éléments de base de l’architecture de Chicago. C’est en contemplant la pure géométrie des bâtiments de Mies van der Rohe à Chicago que s’était révélée ma vocation. Quelle émotion de retrouver dans l’architecture classique de mon pays d’origine, non seulement des rappels de l’architecture moderniste, mais sa source même...».
… Ses images, accompagnées de textes de Walter Gropius et Kenzo Tange dans le livre sur Katsura publié en 1960, révéleront à toute une jeune génération d’architectes et de designers la modernité inhérente aux formes traditionnelles de l’architecture japonaise.
Yasuhiro Ishimoto et sa famille ont réalisé d’importantes donations d’œuvres à la préfecture de Kochi, lui transférant également les droits d’auteur de ses œuvres photographiques et filmiques. Le 14 juin 2013, le Ishimoto Yasuhiro Photo Center a été inauguré au Museum of Art, Kochi afin de conserver, de mener des recherches, de gérer la collection et de la rendre accessible au public, tant au niveau national qu’international. La collection est composée de 34 753 tirages, d’environ 100 000 négatifs et de 55 000 diapositives, ainsi que de documents, de matériel photographique et d’œuvres d’artistes dont Ishimoto était proche.
Yasuhiro Shimoto - Des Lignes et des Corps
- Exposition du 19 juin au 17 novembre 2024
- LE BAL, 6 impasse de la Défense, 75018 Paris
- Métro : Place de Clichy lignes 2 et 13 / Bus : 54, 74, 81, arrêt Ganneron / Parking Rédélé : 11, rue Forest - 75018
- Mercredi 12h – 20h (nocturne) / Jeudi 12h – 19h (Soirées BAL LAB 19h – 21h / Fermeture de l’exposition à 18h) / Vendredi, samedi, dimanche 12h – 19h
- Fermé le lundi et mardi
- Tarifs : Plein : 8 euros / Réduit : 6 euros