Afin d’encourager et de mettre en valeur la profession de photographe, le Salon de la Photo a initié en 2010 LES ZOOMS : deux prix décernés, l’un par le public, l’autre par la presse.

Qu'est-ce que les ZOOMS ?

Logo Les Zooms 2025

Qu'est-ce que les ZOOMS ?

Depuis 2010, la Salon de la Photo, en collaboration avec le salon CP+ (Yokohama au Japon), met en lumière les talents des photographes émergents à travers son prestigieux concours Les ZOOMS. Deux prix y sont décernés, l'un par le public et l'autre par la presse.

Placé sous la présidence de Laura Serani, commissaire d'exposition, directrice de festivals et conseillère pour la photographie et la vidéo, le jury est composé de huit professionnels de la presse (rédacteurs photo, rédacteurs en chef, directeurs de la photographie et de la rédaction) chacun ayant sélectionné un(e) photographe professionnel(le) émergent(e), français(e) ou résidant en France, encore peu connu(e) du grand public.

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Portraits des photographes émergents candidats aux Zooms 2025

Sélection Compétence Photo - Alain Licari

 

Présentation

Alain Licari est né en France (Lyon), a vécu quelques années en Espagne puis a travaillé à New York, de 2015 à 2020. Depuis septembre 2020, il est installé à Conakry, en Guinée.

Photographe autodidacte, il a toujours été inspiré par la photographie humaniste et sociale en noir et blanc. Son travail photographique s’articule essentiellement autour de personnes et de communautés vivant à la marge du système ou dont la vie quotidienne peut prendre une valeur universelle. Il s’immerge au plus près d’elles, partageant de longs moments ; il observe et cherche la bonne distance pour témoigner, être le passeur de ces histoires qui interrogent l’actualité et nos modes de vie.

Sa démarche photographique s’apparente au documentaire dans la mesure où il prend le temps de produire ses séries, de retourner régulièrement sur les lieux photographiés. Cela lui permet d’approfondir un sujet, de l’explorer sous différents angles et d’en observer l’évolution dans le temps. Mais il s’attache aussi à produire une photographie esthétique en apportant un soin particulier au cadrage et à la composition, souvent inspirés par le cinéma.

Depuis janvier 2024, il est à l’initiative du Syli Photo Club - Conakry, qu’il anime. Ce club photo, le premier de Guinée, est soutenu par le Centre culturel franco-guinéen.

Éloge

« Shit, shower, and shave »

Qui pourrait croire qu’une ville de l’Ouest américain, qui a connu un essor fulgurant dans les années 70 grâce à l’extraction d’uranium, s’est vidée en quelques mois, à l’aube des années 80, de la quasi-totalité de sa population ? Qui pourrait également, et raisonnablement, croire qu’une personne souhaite¬ s’y rendre aujourd’hui ? Toujours en quête de sujets insoupçonnés, mais pour autant révélateurs de l’évolution de nos sociétés, Alain Licari n’a pas hésité à rejoindre Jeffrey City, au cœur du Wyoming, afin d’y rencontrer ses irréductibles habitants – à peine une trentaine. Ici, le temps s’est littéralement déboussolé. Il passe encore en soufflant sur quelques tumbleweeds, file parfois tel un mustang courroucé, ou coule délicieusement comme une Bud. Régulièrement, on entend un tir, ou deux. Ce n’est rien, c’est Bayron qui aiguise sa vue. Mais si la poudre s’exhale à l’envi, ça fleure aussi bon le cuir que Jenny tanne dans sa caravane aidée de ses deux jeunes gaillards. Traitée avec une approche cinématographique appliquée, marquée par une justesse tarantinesque, la série photographique d’Alain Licari conte la nouvelle et lente histoire de Jeffrey City au XXIe siècle. Des images au noir bien charbonneux, du bon grain qui rappelle une époque prospère désormais révolue, des scènes du quotidien comme autant de défis à l’ennui… Nous sommes bien au fin fond de l’Amérique, bon Dieu, là où quelques âmes vivent encore.

Écrit par Gérald Vidamment.

Photos d'Alain Licari

Sélection Phototrend - Alexandra Oza

Présentation

Alexandra Oza est une artiste franco-ukrainienne basée à Paris, dont le travail explore les liens entre création artistique et enjeux de société. Formée aux beaux-arts à Kyiv, puis en sociologie de l’art à l’EHESS à Paris, elle développe une pratique photographique profondément ancrée dans une réflexion sur notre monde contemporain.

Elle pratique la photographie argentique, un héritage de son enfance, sans recours à la retouche. Elle privilégie la sincérité du geste et l’intensité du regard. Par le biais de la double exposition, elle crée une métaphore visuelle pour interroger les grands enjeux contemporains tels que le changement climatique, le réchauffement global, l’urbanisation et le rôle de l’humanité dans la transformation du monde.

Son approche artistique, engagée, cherche à éveiller une conscience critique. Pour elle, la photographie ne se limite pas à représenter : elle doit questionner, relier et inciter à repenser notre rapport au réel.

Éloge

Avec une grande délicatesse, Alexandra Oza utilise la photographie comme un langage poétique pour interroger notre époque. Entre rêve et réalité, ses images ouvrent une réflexion sur des enjeux essentiels : changement climatique, urbanisation, place de l’humanité dans un monde en mutation. Plutôt que de dénoncer frontalement, elle propose une forme d’éveil visuel, subtil et profondément humain.

Les fleurs envahissent les murs, les feuillages se fondent dans les lignes de l’architecture. Nature et ville ne s’affrontent pas : elles dialoguent. Les végétaux ne sont jamais accessoires ; ils s’inscrivent dans une confrontation douce avec le bâti – comme une tentative de réconciliation entre notre quotidien urbain et le vivant. Ces images touchent autant par leur beauté formelle que par la profondeur du regard qu’elles suggèrent.

Alexandra Oza réalise chacune de ses œuvres avec un appareil photo argentique, en exposant d’abord une pellicule entière dans un environnement naturel, puis, des mois plus tard, en la réexposant dans une ville, souvent dans un autre pays. Sans montage ni retouche, la lumière, la chimie et le hasard composent ensemble. Ici, l’erreur devient poésie. Le hasard, un allié – parfois même, un co-auteur.

À travers cette démarche, la photographe nous rappelle que l’art peut réconcilier : entre le construit et le détruit, entre ce que l’on voit et ce que l’on oublie.

Écrit par Damien Roué.

Photos d'Alexandra Oza

Sélection De l’air - Julia Vogelweith

Présentation

Née à Strasbourg en 1978, Julia Vogelweith vit et travaille entre le Luxembourg et la France. Après une longue carrière comme juriste, elle décide récemment de se consacrer entièrement à la photographie.

La photographie, elle l’a rencontrée en 2010 au cours d’un workshop avec Antoine d’Agata qui va la plonger dans une approche existentielle de l’image. Une seconde rencontre déterminante avec Mary Ellen Mark en 2015 va pousser sa réflexion sur la définition de son territoire photographique. Elle a participé à une expo collective, consacrée aux artistes émergents, au Mois Européen de la Photographie à Luxembourg en 2025.

Éloge

J’ai rencontré Julia Vogelweith au cours du mois de la photographie européen au Luxembourg en mai 2025, où elle exposait quelques photos en compagnie de photographes émergents. Directe, enthousiaste, elle m’a proposé de me montrer sa série en cours, consacrée à sa fille et qui signe, selon elle, son entrée définitive dans le monde de la photographie. Ce travail sur la petite Charlie Rose, qu’elle élève seule, rassemble tous les thèmes qui lui sont chers. L’intimité, la vulnérabilité, le corps et son langage. Malgré son peu d’expérience pratique, elle a été juriste durant des années_ Julia possède une véritable écriture, empreinte de douceur et de rigueur, invitant le regardeur à entrer dans son quotidien sans impudeur.

Écrit par Stéphane Brasca.

Photos de Julia Vogelweith

Sélection Polka - Juliette Dupuis Carle

Présentation

Engagée, Juliette Dupuis Carle s’est toujours intéressée aux thématiques de société en lien avec la santé mentale. Photographe documentaire née en 1994, elle se forme à l’Ecole de Condé et à Bloo à Lyon. En 2019, elle réalise « Une peau à soi », où elle met en lumière le mal-être de femmes et de personnes non-binaires dans le rapport à leur propre corps. En 2022, avec « Une sur trois », elle mêle paroles et portraits de femmes ayant subi des violences sexuelles. Avec sa nouvelle série, « What Does It Mean to Be Free? », débutée en 2024 et encore en cours, ce sont d’autres victimes, résilientes, qui dévoilent une part d’elles-mêmes, après avoir subi des violences conjugales. Dans une démarche collaborative, Juliette Dupuis Carle crée des lieux photographiques de bienveillance et permet à ses sujets un espace d’expression.

Éloge

Avez-vous déjà entendu parler de contrôle coercitif ? Inscrit dans le Code pénal, c’est une forme de violence qui s’exerce sur un ou une (ex) partenaire, souvent par le biais d’une emprise psychologique, d’abus émotionnels, de harcèlement. Juliette Dupuis Carle tourne son objectif vers celles qui ont réussi à partir de chez elles après avoir subi de longues périodes de violences conjugales – sexuelles, psychiques, financières avec sa nouvelle série What Does It Mean to Be Free? (« Que signifie être libre ? » en français). Son approche : une galerie de portraits de femmes, visages découverts, des détails tout en douceur, des ambiances paisibles et le temps suspendu de la photo argentique. Elle rassemble 15 profils de femmes de 19 à 80 ans qui se sont sauvées afin de construire une nouvelle vie. De Nantes à Bruxelles, en passant par Paris, où elle habite, et sa région, elle va à la rencontre de ces femmes au passé si troublé. « Avec la photographie, j’explore la force de vie, dit-elle avec délicatesse. L’intime devient un espace d’expression où les traumatismes peuvent être sublimés. »

Écrit par Léonor Matet.

Photos de Juliette Dupuis Carle

Sélection Fisheye - Lola Cacciarella

Présentation

Lola Cacciarella est une photographe française de 24 ans. Elle vit à Paris, mais son regard dépasse les frontières. Après trois années d’études en architecture à l’ENSA Versailles, elle s’oriente vers la photographie et obtient en 2024 un bachelor en photographie et vidéographie à l’école des Gobelins (Paris).

Son approche photographique brouille volontairement les repères. Elle travaille entre réalité et abstraction, cherchant moins à représenter qu’à faire ressentir. Chez Lola, la couleur devient matière, essentielle à la composition de l’image. La lumière, elle, sculpte l’espace, creuse les formes, révèle les vides.

Sa série Bleu comme une orange, réalisée à l’été 2023, prend la forme d’un carnet visuel. Ni lieux précis, ni narration linéaire. Juste des fragments sensibles : un mur jaune, une chaise cassée, un bleu éclatant. Des morceaux de corps, de ciel, de silence. Des images ouvertes, qui vibrent, se répondent, dessinent une mosaïque d’instants suspendus. Une série photographique intime, entre adolescence et âge adulte. Photographier, pour garder une trace. Rien de plus.

Éloge

Bleu comme une orange

Série photographique – été 2023

Chaque année, j’attends l’été avec impatience. Il y a dans cette saison une magie particulière : le temps semble ralenti, la lumière devient plus douce, plus généreuse, et les corps s’abandonnent à une liberté nouvelle. C’est une période où je me sens plus disponible, plus sensible à ce qui m’entoure.

Bleu comme une orange est le carnet de mon été 2023, une collection de fragments sans ancrage géographique précis. Ce qui m’attire, ce sont les détails, une forme, une couleur, un éclat. Une goutte d’eau, une chaise brisée, un mur jaune sous un ciel bleu… J’aime que l’image garde une part d’ambiguïté, qu’on ne sache pas tout de suite ce que l’on regarde. Ce sont souvent des sensations que je tente de retenir.

Envisagées comme les pièces d’un puzzle, les images de cette série composent le tableau de mon été fait de sensations marquantes, de détails qui m’ont interpellée. J’ai voulu garder une trace de cette énergie particulière, rassembler la poésie discrète de la saison et ces petites choses qui m’attirent et que j’ai eu envie de retenir.

La couleur, justement, relie et structure l’ensemble : elle agit comme un fil conducteur, donnant unité à cette collection d’instants. « Tiens, j’ai vu ça. J’ai trouvé ça beau. » C’est peut-être ça, au fond, ce que j’avais envie de dire : capturer un éclat de lumière, un souffle d’été, avant qu’il ne s’échappe.

Écrit par Fabrice Laroche.

Photos de Lola Cacciarella

Sélection Photo - Max & Louna

Présentation

Photographes en 3e année à l’école des Gobelins, Louna et Axelle forment le duo Max & Louna. Louna, 23 ans, a grandi en Égypte et a débuté la photo par l’approche documentaire lors d’un voyage à travers les Amériques, à laquelle elle mêle aujourd’hui une esthétique résolument mode et son intérêt pour les récits intimes et les identités multiples. Axelle est née en Corse et développe très jeune un amour de l’argentique qui la suit dans ses projets. Son regard au croisement du documentaire, de la poésie et du symbolisme résonne dans la série « Le cirque sur la lune », premier projet du duo, promis à en faire naître de nombreux autres.

Éloge

Le cirque sur la lune : un tarot photographique

On croirait des archives du XVIIIe siècle, pourtant elles sont signées d’un duo composé par deux jeunes étudiantes aux Gobelins. C’est la force des nouvelles générations fortes de toute l’Histoire de l’art et biberonnées aux outils numériques. Nées dans les années 2000, Max & Louna reviennent tout droit du passé pour le réinventer. Leur série, subtile fusion du Tarot de Marseille et de l’univers du cirque, est à lire comme un conte burlesque et poétique. La papesse, l’impératrice, le pape marionnettiste, l’amoureux jongleur, la justice avaleuse de sabres, le canon dieu… Vingt-deux personnages forment cette troupe imaginaire qui performe de planète en planète. Leur esthétique est le fruit d’un travail poussé de documentation, puisant dans un corpus d’archives circassiennes du XVIIIe et XIXe siècle. Dans un mouvement très actuel de réappropriation de techniques anciennes, Max & Louna réalisent leurs photographies studio à la chambre 4x5 couleur, pour dans un second temps les nourrir de détails en IA et les peindre à l’aquarelle. Avec les codes de sa génération et l’héritage d’une iconographie riche, le duo nous plonge dans un nouvel imaginaire traversé par les énigmes et les symboles… invitant à une lecture plus profonde des cartes.

Écrit par Cyrielle Gendron.

Photos de Max & Louna

Sélection Réponses Photo - Noémie Lecampion

Présentation

Noémie Lecampion est une photographe documentaire, basée à Paris. Elle obtient d'abord une licence de design à l’Université Toulouse Jean Jaurès au cours de laquelle elle écrit un mémoire sur la « photographie dématérialisée ». Elle intègre ensuite l’ETPA de Toulouse en 2019 où elle reçoit le «Grand Prix photo» en 2022. Passionnée d’histoire de l’art, elle utilise la photographie pour transmettre comme les séries "Monochrome" (sur le peintre Yves Klein) et "Impressionnisme". L’imprégnation du sujet est à la base de ses réflexions et de son travail photographique qui s’articule autour de recherches tant historiques qu’artistiques. Photographe documentaire et artiste plasticienne, Noémie matérialise sa sensibilité et ses interrogations grâce au médium de la photographie. En dehors de la thématique de l’histoire de l’art, Noémie réalise des sujets documentaires sur des problématiques sociales suivies au long cours comme le handicap invisible avec "Sur la pointe des pieds" (une série sur des adultes diagnostiqués autistes TSA) et "Le monstre de la création" qui questionne la place de la femme dans notre société moderne.

Éloge

Noémie Lecampion est une jeune photographe que nous avons publié il y a quelque temps avec une série sur l'impressionnisme dans nos pages de portfolios. C'est avec un nouveau travail, "Sur la pointe des pieds", que nous proposons sa candidature pour le prix des Zooms. Dans ce projet, elle pose un regard sur l'autisme TSA au travers de portraits réalisés en argentique. Plus qu'une simple série de portraits posés, elle implique les personnes qu'elle photographie dans sa démarche. Noémie prépare les séances photo, définit le cadre, gère l'exposition. Mais ce sont ses modèles qui, la poire en main, déclenchent la photographie au moment qui leur semble le plus opportun. Elle nous révèle ainsi des moments suspendus d'introspection, accompagnés de photographies d'objets fétiches et de textes écrits par ses modèles.

Écrit par Thibaut Godet.

Photos de Noémie Lecampion

Sélection Like Magazine - Ophélie Loubat

Présentation

Ophélie Loubat est née en 1999, basée entre Paris et la région Occitanie. Son travail est distribué par Divergence Images. Diplômée d’un master en sciences politiques à l’université Paris X Nanterre, elle travaille d’abord auprès de personnes exilées en milieu associatif, avant de se tourner vers la photographie en suivant une formation à l’EMI-CFD à Paris en 2022. L’amour des gens et la curiosité sont les fondements de sa pratique photographique. Les sujets qui l’animent portent principalement sur les relations familiales, la quotidienneté et l’exil. S’inspirant de méthodes d’enquête issues des sciences sociales, elle privilégie une approche immersive et sur le temps long. Ses travaux sont le fruit de discussions, balades et séjours chez les personnes photographiées, pour tenter de saisir au mieux ce qui est éprouvé. A travers des histoires individuelles, elle cherche à susciter des réflexions sur ce qui touche à l’intime, au partagé et à l’enfoui de chacun. Elle publie régulièrement dans la presse (M le Magazine du Monde, Médiapart, La Croix) et réalise des commandes pour des ONG (Emmaüs Solidarité) et des institutions (Caravane des ruralités). En 2023, elle reçoit le Prix Isem Jeune Photographe du festival Image Singulières. La même année, elle est lauréate du Mentorat photographique du Fonds Régnier et de l’Agence VU’. Son travail au long cours sur la parentalité solo en France, intitulé « Le creux du nid », a été projeté pendant le festival OFF Arles 2024.

Éloge

Le pas rapide, le regard vif, elle surgit, pressée de raconter. À peine assise dans le café parisien où nous avons rendez-vous, Ophélie enlève sa veste, retrousse sa manche et me tend son bras. Sous le cellophane qui protège encore l’encre fraîche, une rose aux lignes fines s’épanouit. « C’est une photo que mon grand-père avait prise », me dit-elle, sourire en coin, cette précision semblant vouloir amorcer une histoire. Elle effleure le tatouage du bout des doigts, puis ajoute après un silence : « Il y a eu une transmission entre lui et moi. » À l’instar de son grand-père, photographe amateur, elle commence à immortaliser des instants de la vie familiale. La nécessité de garder une trace, de ne pas oublier. Pour autant, l’idée que cela puisse se transformer en profession ne lui semble pas réaliste. Les mots s’enchaînent avec une spontanéité désarmante. Sa peau à la fleur porte la trace d’une mémoire en construction, consciente ou non, tandis que je souhaite comprendre comment naît une vocation : chez Ophélie, qui vit alors dans le Sud, le premier déclic survient au lycée, lors d’une sortie au festival Visa pour l’Image organisée par son professeur d’histoire. Fascinée, elle y retournera ensuite chaque année. Le besoin de partir la pousse vers une licence en langues étrangères, puis jusqu’à l’Argentine, l’Australie… Partout, son appareil photo l’accompagne. De retour en France, elle s’investit dans une association, à Calais, qui documente les expulsions et les conditions de vie des personnes exilées. Observer devient un réflexe, qui induit une foule de questions : où se placer, quel regard poser sur ces réalités ? Elle s’interroge sur l’éthique du journalisme, le manque de moyens, et refuse la logique d’une presse avide d’images rapides, souvent détachées du contexte. À Paris, elle rejoint un accueil de jour destiné aux mineur·es isolé·es. Elle commence à faire des portraits. C’est à cette période qu’elle entend parler de l’EMI-CFD, une école dédiée aux métiers de l’information. « C’était une formation axée sur l’écriture et la démarche photographique, pas la technique », précise-t-elle. Plus qu’un apprentissage, c’est une plongée dans un univers exigeant, une école de la rigueur. Elle choisit de commencer son travail sur les familles monoparentales. C’est ainsi que Le Creux du Nid prend forme. « J’ai beaucoup questionné mon rôle et ma place au sein des familles. Que provoque ma présence ? Pourquoi l’acceptent-elles ? Partager leur quotidien intime, dormir sur place et assister aux rituels du soir et du matin a rendu ma présence familière, moins visiteuse. Beaucoup de temps sans appareil, de discussions, de jeux. J’ai appris leur chorégraphie familiale en reproduisant des pas de ma propre danse. Et finalement, à force de revenir chez elles, j’ai eu l’impression de rentrer à la maison. »

Écrit par Jean-Jacques Farré.

Photos d'Ophélie Loubat